A box in a box in a box
Chaque fin suppose un nouveau début. Surtout dans le multiversum de Louis Vanhaverbeke où les gens et les choses sont perpétuellement en mouvement et créent de nouveaux liens en permanence. La petite boîte blanche et mystérieuse à laquelle l’artiste gantois dédie sa dernière chanson dans MULTIVERSE (2016), a pris dans Mikado Remix la forme d’un kot grandeur nature. Est-ce un refuge, une cellule, un théâtre dans un théâtre ou une métaphore de l’âme renfermée dans nos corps ?
La boîte présentée sur scène se compose de barrières Heras. C’est un matériau que Vanhaverbeke, qui aime introduire la notion de recyclage, utilize souvent dans ses oeuvres récentes. Dans le cadre du Bâtard Festival, il avait créé Secured Court (2011), une intervention dans l’espace public. Quelques jeunes y disputaient un match de basket autour d’une construction de barrières métalliques. Vanhaverbeke est un artiste bricoleur et polyvalent, fasciné non seulement par la multifonctionnalité de ces barriers – que l’on trouve sur les chantiers, sur la voirie, les festivals ou les brocantes – mais aussi par le geste simple, performatif, avec lequel ells permettent de scinder et transformer un espace. Il suffit de poser quatre barrières pour clore, mais aussi créer un espace. Les barreaux permettent de regarder à l’intérieur et à l’extérieur, mais l’isolement reste entier. C’est exactement de cette relation entre l’intérieur et l’extérieur qu’il s’agit dans Mikado Remix. À l’aide de paroles qu’il a composées, d’images vidéo de bricolage et d’une loopstation, Vanhaverbeke explore les limites (absentes) de son propre esprit. Louvoyant entre claustrophobie et chute libre, il tente de créer un lien avec le public, brisant ses propres barriers mentales mais aussi celles du théâtre. Peut-on jamais transposer ce qui se passe au plus profond de notre univers mental ? Comment notre conscience influence-t-elle la réalité ‘objective’ que nous percevons ?
Folle normalité
Selon la ‘philosophie de base’ de l’expert en sécurité Heras – l’un des principaux fabricants de clôtures et de barrières au monde –, la liberté et la sécurité sont intrinsèquement liées. Ce postulat se base sur un paradoxe, car ce n’est évidemment qu’au prix de la restriction des libertés d’un autre que notre sécurité peut être garantie. Dans Mikado Remix, Vanhaverbeke observe ce besoin humain et sociétal de poser des barrières, et son impact paradoxal. Que gagne-t-on à constamment tracer des lignes – concrètes ou métaphysiques – dans notre espace vital ? Des lignes qui deviennent des angles (morts), des boîtes (fermées) ?
Ce sont des limites qui tracent le contour de nos habitations, de nos rues et de nos villes, qui dessinent nos identités, notre perception du monde, de nos nations et de nos langues, qui définissent notre comprehension de ce que sont la communauté et la santé. Elles fournissent des codes pour appréhender le monde, des cadres pour vivre avec l’Autre et des structures pour agir. Elles offrent donc sécurité, protection et défi. Ou justement pas. La limite est aussi inclusive d’un côté qu’elle est exclusive de l’autre. Car dans quelle mesure nous conformons-nous au plus profond de nous-mêmes à ces cases artificielles, et à quel prix ? À partir de quand les quatre murs que nous construisons pour nous protéger deviennent-ils une cage ?
L’une des question les plus posées sur Google est : « How to be normal ? ». La normalité psychique, sociale et physique est peut-être aujourd’hui – avec les frontières géographiques et nationales qui sont au coeur du débat politique – l’une des principals limites que nous cherchons à fixer en tant qu’individu et société. La routine et le conformisme sont des symptômes de ce besoin, la quantification en est la méthode. En 1962, Malvina Reynolds chantait déjà : « Little boxes on the hillside, (…) and they all look just the same. And the people in the houses, (…) they all look just the same. » Marcher dans le rang apaise, tout comme les loops populaires que produit Vanhaverbeke avec son ordinateur. Ils sont comme les miroirs des boucles de pensée que nous fabriquons tous les jours. Nous les créons, et pourtant nous en sommes les esclaves. Vanhaverbeke suggère que la normalité est en ce sens surtout une frontière à l’aune de celui, celle ou ce qui se trouve en dehors, celui, celle ou ce qui est condamné à se trouver à l’extérieur du centre – derrière de hauts murs, bien protégé des regards – comme en prison, dans une cellule d’isolement, une institution, un camp ou un home. Mais alors que la limite de tolérance du discours politique continue de glisser, que les politiciens appliquent des changement asociaux en prétendant “faire des choses normales”, et que les armes nucléaires qui pourraient détruire le monde sont utilisées comme une menace ludique dans le feuilleton politique, la folie paraît plus que jamais une étiquette toute relative. On pourrait même dire qu’elle est pour de nombreuses personnes un échappatoire choisi. La boîte comme un bunker. De qui entendons-nous les cris ?
Du cercle à la ligne droite
Après la chorégraphie circulaire d’une genèse alternative dans MULTIVERSE, c’est donc la ligne droite qui forme la trame dans Mikado Remix. La forme concrète et le sens métaphorique sont, comme toujours dans le travail de Vanhaverbeke, indissociables. Aux mains du chorégraphe, la ligne devient un mur, un plafond, un territoire, mais aussi une ligne de front, une opposition, une confrontation, une limite. Il construit, bouge, bricole avec la concentration d’un maçon et la poésie d’un danseur. Oscillant entre productivité et inutilité, un regard intimiste et une perspective mondiale, il tente de se positionner dans un monde qui tourne carré.
Charlotte De Somviele